L’inexorable montée des défaillances d’entreprises

Il fallait s’y attendre : les défaillances d’entreprises repartent à la hausse en ce début d’année. La conjonction de la fin des aides Codiv et de la crise en Ukraine devrait amplifier le phénomène.

Le groupe Altares, expert historique et référent de la data d’entreprise dévoile aujourd’hui les chiffres des défaillances d'entreprises en France pour le 1er semestre 2022. 

Avec 9972 procédures collectives ouvertes depuis le début de l’année, le niveau des défaillances augmente de près de 35 % par rapport au 1er trimestre 2021. Après être tombées à des seuils historiquement bas ces deux dernières années, les défaillances renouent progressivement avec les niveaux d’avant crise. Amorcée dès novembre 2021, la hausse des ouvertures de procédures s’accélère chaque mois.

Avec 220 jugements enregistrés ce trimestre, le nombre de procédures de sauvegarde augmente de 29,4 %. Ce dispositif représente seulement 2,2 % de l’ensemble des procédures.

Les procédures de redressement judiciaire (RJ) sont en hausse rapide de 46,6 % pour 2188 jugements prononcés. Elles représentent moins d’un jugement sur quatre (22 %), un taux très en-dessous des 30 % relevés en 2018.  Les jugements de liquidation judiciaire (LJ) augmentent également fortement (+31,7 % ; 7 564 liquidations).

Les jeunes entreprises sont les plus durement fragilisées

Près de la moitié (48 %) des entreprises entrées en défaillance au 1er trimestre ont été créées il y a moins de 5 ans. Plus sévère encore, les défaillances chez les entreprises fondées pendant ou juste avant la crise ont flambé de 52 %. 1927 procédures concernent des structures de moins de 3 ans. 83,8 % sont immédiatement placées en liquidation judiciaire.

A noter qu’il s’agit à plus de 90 % de sociétés commerciales (et non de micro entreprises). Les difficultés des jeunes entreprises sont particulièrement marquées dans les activités « magasins multi-rayons » (essentiellement des commerces d'alimentation générale) où les défauts sont trois fois plus nombreux ce trimestre ; mais aussi dans la restauration (+180 %), où le nombre de procédures était exceptionnellement bas il y a un an.

Le nombre de procédures chez les TPE dépasse le niveau d’avant crise

94 % des entreprises en cessation de paiement sont des TPE, une part relativement constante. On observe en revanche des tensions plus remarquables chez 10-49 salariés où les défaillances s’envolent de 56 % sur an (645), dépassant le niveau d’avant crise (632). Ces structures se concentrent dans les secteurs de la construction, le commerce et l’industrie. Les PME d’au moins 50 salariés résistent davantage avec des taux de défaillance quasi stables.

La procédure de traitement de sortie de crise : 5 mois après où en sommes-nous ?

Créée par la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire la procédure de traitement de sortie de crise (PTSC) doit permettre un rebond plus rapide aux entreprises en difficultés financières liées aux conséquences de la crise sanitaire. Elle s’adresse donc aux entreprises qui fonctionnaient dans des conditions satisfaisantes avant la crise Covid. Elle peut concerner les entreprises de moins de 20 salariés à la date de la demande d’ouverture de la procédure et (critères cumulatifs) disposant de moins de 3 000 000 d’euros de total de passif hors capitaux propres. Les comptes annuels du dernier exercice sont exigés et doivent apparaître « réguliers, sincères et aptes à donner une image fidèle de la situation financière de l’entreprise ». En principe donc, cette nouvelle procédure peut concerner de très nombreuses entreprises en cessation de paiements. Cependant, ces dernières doivent pouvoir payer leurs salariés. Cinq mois après le démarrage de la PTSC, à peine plus d’une trentaine de procédures ont été ouvertes ; 18 sur le premier trimestre 2022 et 14 au cours du dernier trimestre 2021. Parmi ces dernières, 2 ont depuis fait l’objet d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire. 10 ont pu valider un plan dont la durée a été fixée entre 5 et 10 ans.

Les défaillances par secteur d’activité

Commerce : Dans la vente de détail, la situation se dégrade très nettement dans le commerce en magasins multi-rayons (+83%) essentiellement en alimentation générale, mais aussi hors magasin (principalement e-commerce) (+65%). Le commerce d’habillement affiche également une hausse rapide des défaillances d’entreprises (+34%) mais demeure encore très en dessous des valeurs de début de crise. La vente et réparation de véhicules dérape de 33% et dépasse désormais significativement le nombre de procédures de début 2020 (472 contre 420).

Restauration : En restauration traditionnelle, le nombre de défauts a plus que doublé sur un an (600 contre 285 ; +111%) et se rapproche des seuils du 1er trimestre 2020. La dégradation est également très nette dans les débits de boisson (+87%).

Services aux particuliers : Dans le secteur des services aux particuliers, les salons de coiffure et instituts de beauté voient leur nombre de défauts augmenter de 86 % sur un an, dépassant les seuils d’avant crise (352 au 1er trim. 2022 vs. 300 au 1er trim. 2020). Dans les autres activités, on retrouve des niveaux proches de début 2020 dans les activités récréatives (+44%), essentiellement dans le sport, et l’enseignement (+48%), notamment les auto-écoles et la formation pour adulte.

Construction :  La construction s’inscrit dans une hausse des défaillances moins rapide que la moyenne nationale (+19%). Le gros œuvre résiste le mieux (+12%), notamment grâce à la maçonnerie générale (+8%). A l’inverse, le second œuvre (+34%) est fragilisé, en particulier dans les travaux d’installation électrique (+45%) ou de plâtrerie (+40%).

Industrie manufacturière / agroalimentaire :  Dans l’industrie manufacturière (+29%) la métallurgie-mécanique semble mieux résister (+24 %). Le secteur énergie-eau-environnement enregistre 43 procédures contre 30 en 2020, à noter que la moitié de ces entreprises se situe dans la distribution ou la production d’électricité. L’agroalimentaire est davantage fragilisé (+95%). Le secteur concentre essentiellement des artisans boulangers-pâtissiers qui ont vu leur nombre de défauts doubler sur un an.

Services aux entreprises :  Le secteur des services aux entreprises présente une hausse globale de +17 %, la situation est contenue dans les activités de conseil en communication et gestion (+11%). On enregistre même un recul des procédures dans les activités de sécurité (-2%) et nettoyage de bâtiment (-3%). En revanche, la situation se dégrade fortement dans les services informatiques et édition de logiciels (+51%).

Transports : Le secteur des transports enregistre une forte hausse (+37 %), dans le transport routier de marchandises (+46%) qu’il s’agisse du transport de proximité (+41%) ou interurbain (+57%).

Agriculture :  L’agriculture limite la hausse du nombre de défauts à 12%, après avoir enregistré un recul de 12% il y a un an. Le secteur retrouve donc son niveau de défaillances de début 2020.

Les défaillances par régions 

A l’issue du premier trimestre 2022, seules sont encore dans le vert la Corse (-2,4 %) et la Réunion (-12,7 %), qui avait connu un très mauvais premier trimestre 2021 (+58 %).

La plus rapide dégradation est relevée dans les Hauts-de-France (+72 %), avec une très forte augmentation des défauts dans le département du Nord (+92 %).

Alors qu’elle enregistrait un recul des défaillances de près de 52 % au 1er trimestre 2021, la Bourgogne-Franche-Comté accuse en ce début 2022 la deuxième plus forte hausse de métropole, à plus de 66 %. Le nombre de défauts a plus que doublé en Saône-et-Loire et Côte-d’Or.

La Normandie prend la troisième place du podium avec une augmentation de 52 % des ouvertures de procédures.

En Occitanie (+47 %), le département de l’Hérault contient la hausse des jugements à 35 % mais dépasse désormais nettement le volume du premier trimestre 2020.

En Nouvelle-Aquitaine (+42 %), l’augmentation du nombre de procédures est particulièrement sensible dans la restauration, qui se rapproche des niveaux de début 2020.

En Auvergne-Rhône-Alpes (+40 %) les défauts de restaurateurs ont doublé et sont désormais quasi aussi nombreux qu’il y a deux ans.

En Pays-de-la-Loire (+39 %), les défaillances accélèrent dans le second œuvre du bâtiment.

En Provence-Alpes-Côte-d’Azur (+35 %), la restauration compte le plus grand nombre de défauts. La plus forte dégradation concerne le transport routier de marchandises.

La restauration est également en difficulté dans le Grand-Est (+35 %).

En Bretagne (+27 %) le nombre de jugements augmente rapidement dans le second œuvre du bâtiment mais demeure très en-dessous du niveau de début 2020.

En Centre-Val-de-Loire (+20 %), le bâtiment parvient à stabiliser ses procédures collectives. En revanche, on observe une très forte dégradation dans le secteur de la restauration avec quasi deux fois plus de défaillances que début 2020.

L’Ile-de-France affiche une hausse de +16 %, bien en-deçà de la moyenne nationale. Dans le détail, les départements de l’Essonne et la Seine-Saint-Denis sont encore dans le vert. A Paris le rythme des ouvertures de procédures est stable. En revanche, la situation est plus tendue dans les Yvelines et les Hauts-de-Seine où l’on dénombre plus de défaillances qu’au 1er trimestre 2020.

Comme le déclareThierry Millon, directeur des études Altares : « En 2020 et 2021, moins de 61 000 procédures collectives ont été ouvertes contre 107 000 lors des deux années précédentes. Plus de 46 000 entreprises ont été sauvées de la défaillance durant la longue période Covid. Sans le fameux « quoi qu’il en coûte » gouvernemental, la crise sanitaire aurait pu provoquer bien plus de procédures. Au 1er trimestre 2022, l’étau de la crise sanitaire se desserre et les aides s’arrêtent. Un retour à une forme de normalité qui implique aussi une reprise des défaillances. La hausse s’amorce donc et elle est déjà très nette dans les secteurs qui comptent sur la reprise des habitudes de consommation comme aller au restaurant ou chez le coiffeur. Depuis le 24 février et le début de l’invasion russe en Ukraine, l’horizon s’assombrit : la flambée des prix de l’énergie, les difficultés d’approvisionnement, les pénuries de matériaux, l’inflation qui s’emballe… autant de signaux qui incitent à la prudence. A l’instar du « quoi qu’il en coûte » gouvernemental déployé pendant la crise sanitaire, le nouveau Plan Résilience de 7 milliards d’euros devrait contribuer à empêcher la faillite des entreprises directement impactées par la guerre et celles plus durement touchées par l’envolée des prix de l’énergie. Ce nouveau paquet de mesures (activité partielle, PGE etc.) doit soulager les trésoreries, mais le gouvernement exhorte les entreprises à tout faire pour continuer à payer leurs factures dans les temps. En effet, si les délais de paiement interentreprises ont été bien maîtrisés jusqu’à présent, les turbulences de ce début d’année pourraient changer la donne. Les directions financières pourraient être tentées de temporiser de plus en plus sur le règlement des factures pour conserver leur trésorerie. Dans ces conditions, la trajectoire à la hausse des défaillances d’entreprises devrait se poursuivre mais sans laisser présager à ce stade, une déferlante de faillites, les entreprises disposant encore de liquidités. »

 

   

 

Commentaires

Aucun commentaire

Ecrire un commentaire

Pour écrire un commentaire vous devez vous connecter à votre compte.

Si vous n'avez pas encore de compte nous vous invitons à vous inscrire gratuitement.

A lire