La France ne produit pas assez

La productivité est importante pour la croissance et la création de richesses. La France a longtemps affiché de bonnes performances en la matière. Ces dernières années pourtant, la productivité marque le pas.

La productivité du travail dépend de la qualification des salariés, de leur motivation, de l'organisation du travail, mais également du capital utilisé. Sur le long terme, la croissance est très largement liée à l'évolution de la productivité (elle-même liée au progrès technique et aux innovations), mais également du taux d'emploi, de la durée du travail, de la population.

Une même production réalisée avec moins de main d’œuvre atteste d'une meilleure productivité. À l'inverse, la hausse de l'emploi est susceptible de diminuer la productivité moyenne de l'économie (notamment à cause de l'intégration de personnes plus éloignées du monde de travail).

Les politiques publiques liées à la productivité et à la compétitivité sont en France soutenues par les travaux du Conseil national de la productivité (CNP), instauré en 2018 à la suite d'une recommandation du Conseil de l'Union européenne de 2016. Son cinquième rapport fait état de trois grands enseignements : la faiblesse de la productivité du travail depuis 2019 reflète avant tout un marché du travail dynamique, mais pour consolider ces nouveaux emplois, une croissance économique de long terme plus forte sera nécessaire ; la position compétitive de la France par rapport à l'Allemagne s'améliore, mais les coûts salariaux français demeurent plus élevés que la moyenne européenne et repartent à la hausse dans les services aux entreprises et les transports ; l'impact positif des technologies sur la productivité globale est confirmé. Face au retard européen et français dans le domaine de l'intelligence artificielle générative, des choix politiques, en partie au niveau européen, s'avèrent nécessaires.

Un rattrapage incomplet

Entre le dernier trimestre 2019 et le premier trimestre 2024, la productivité apparente du travail par tête s'est redressée en zone euro, mais également aux États-Unis, qui ont même rattrapé leurs pertes liées à la crise du Covid-19, tout comme l'Italie et le Royaume-Uni. En revanche, "la France n'a toujours pas retrouvé son niveau de productivité de 2019 : en 2023, elle y était de 3,5% inférieure" affirme le rapport du CNP.

La productivité apparente du travail par heure travaillée, quant à elle, ne montre pas de chute liée au Covid en zone euro Ceci est lié au confinement et au chômage partiel : les salariés étaient en emploi, mais sans effectuer d'heures. Production et heures travaillées ont alors chuté, expliquant la relative stabilité de cet indicateur de la productivité. Plusieurs pays connaissent même une hausse de la productivité horaire par rapport à 2019, l'Allemagne et l'Espagne faiblement (moins de 2%), les États-Unis de plus de 7%.

La France n'en fait pas partie. Sa productivité horaire connaît une baisse : elle se situe à 2,4% sous son niveau de 2019. Selon une note de la Banque de France, elle s'explique en partie par la hausse du taux d'emploi. Plusieurs secteurs contribuent plus nettement au décrochage de la productivité apparente du travail totale, notamment le commerce, la construction et certaines branches industrielles. En revanche, une des rares branches à avoir enregistré une amélioration est celle des services aux entreprises. 

La productivité française semble donc repartir sur une trajectoire durablement plus faible que la tendance observée avant la crise sanitaire.

Le rapport 2025 du CNP estime que les facteurs explicatifs de ce décrochage français "ne sont pas nécessairement l'indice d'une mauvaise forme économique". Des travaux de la Banque de France et de l'Insee arrivent à attribuer jusqu'à deux tiers de ce décrochage aux changements structurels intervenus dans l'organisation du marché du travail, à savoir : la baisse du chômage ; l'effet de composition de la main-d'œuvre ; l'essor de l'apprentissage ; la rétention d'emploi.

Des facteurs communs à tous les pays de la zone – tels la hausse des arrêts maladie et une forme d'"usure" du télétravail – pourraient expliquer une partie du tiers restant.

Le marché de l'emploi connaît une amélioration qui a commencé déjà avant la crise Covid et s'est prolongée depuis.  Cette baisse du chômage a été bénéfique pour des personnes plus éloignées de l'emploi. Si, à moyen et long terme, les acquis d'expérience de ces personnes peuvent avoir un effet positif sur leur productivité, on peut supposer que leur productivité, dans un premier temps, était plus faible que la moyenne.

Par ailleurs, le taux d'emploi des 15-24 ans est passé d'environ 30% en 2019 à plus de 35% en 2024 et les jeunes sont cependant généralement moins productifs que les salariés expérimentés. A l’opposé, le taux d'emploi des 55-64 ans est passé de 54,5% à 58,4%, mais reste inférieur à la moyenne UE-27 (63,9%) et loin de celui de l'Allemagne ou des Pays-Bas (75%). L'âge peut peser sur la productivité du travail dans des secteurs plus pénibles ou inciter à ralentir le rythme de travail à l'approche du départ à la retraite. 

Les contrats d'apprentissage ont très fortement augmenté ces dernières années. Ces apprentis partagent leur temps entre l'entreprise et l'école, mais ils sont comptabilisés comme des emplois à temps plein. Un apprenti est généralement moins productif qu'un salarié confirmé. Cependant, la forte hausse du niveau d'études des apprentis – le nombre d'apprentis avec BAC+5 progresse entre 2019 et 2023, celui avec BAC et CAP recule – devrait à l'avenir avoir un effet positif sur leur productivité.

La rétention de la main-d'œuvre n'est pas seulement une des caractéristiques de la crise sanitaire – de nombreuses entreprises sont passées au chômage partiel – elle est aussi un phénomène plus général. Elle peut avoir un effet négatif sur la motivation des salariés et peser sur leur productivité une fois l'activité redémarrée. 

À côté de ces facteurs qui suggèrent de relativiser la moins bonne performance française en matière de productivité, un document de travailde l'Insee d'avril 2025, sur la démographie des entreprises sur une période plus longue, est moins positif. Il révèle d'abord une baisse de ce qu'on appelle la destruction créatrice : les nouvelles entreprises entrantes sont de moins en moins productives. De plus, la productivité des entreprises pérennes a reculé entre 2002 et 2022. 

Début 2025, la situation sur le marché de l'emploi montre des signes de dégradation : selon la  Dares, "le nombre d'inscrits à France Travail évoluerait de +0,8% pour la catégorie A et de +1,3% pour les catégories A, B, C au 1er trimestre 2025." Le redressement de la productivité et la stabilisation de l'emploi "requièrent de trouver de nouveaux moteurs de croissance de la valeur ajoutée pour une augmentation durable de la croissance économique" (rapport du CNP).

Les rapports du CNP et Draghi préconisent d'augmenter les investissements dans les infrastructures permettant une plus grande diffusion des nouvelles technologies innovantes. Compte tenu de la situation des finances publiques en Europe, de tels investissements pourraient se faire au niveau européen, notamment en recourant au secteur privé. 

   

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