Défaillances : la marée haute

La situation économique continue de se dégrader et les entreprises d'en souffrir. 

 

BPCE L’Observatoire dresse un bilan des défaillances d’entreprises au 1er trimestre 2024, accompagné d’un scénario pour l’année 2024 et 2025, et dénombre 16 801 défaillances au 1er trimestre 2024 soit un niveau 15% supérieur à l’avant crise. Sur les 12 derniers mois, ce sont plus de 59 000 entreprises qui ont fait défaut (contre 51 800 en 2019). Une évolution globale qui cache de nombreuses disparités et surtout quelques signaux d’alerte.

 Un environnement économique tendu pour les entreprises depuis plus d’un an

L’année 2023 marque un tournant économique majeur pour les entreprises. Inflation, hausse des taux d’intérêt, ralentissement économique et remboursement de la dette covid (PGE, dette sociale et fiscale) ; autant de sujets qui durcissent les conditions d’exploitation des entreprises depuis plus d’un an :

  • La croissance économique en 2023 était certes limitée (+0,9% après +2,5 % en 2022), mais unerécession a été évitée et les créations d’emplois sont restées dynamiques ;
  • L’inflation, d’abord énergétique, s’est diffusée dans le reste de l’économie par le mécanisme des « effets de second tour » et a eu des conséquences négatives pour la plupart des entreprises (érosion des marges surtout dans les services, restrictions de consommation des ménages, notamment dans l’alimentaire) ;
  • Face à ce choc inflationniste, les taux d’intérêt ont augmenté très rapidement et très violemment, ce qui a renchéri le coût de financement pour les entreprises, mais aussi pour les ménages, pesant particulièrement sur leur investissement-logement et leurs achats de biens durables ;
  • Enfin, le remboursement des prêts garantis par l’Etat (PGE) s’est poursuivi en 2023, et l’Urssaf a accéléré ses mises en demeure dans certaines régions, surtout depuis septembre 2023.

En 2024, l’activité économique devrait à nouveau ralentir légèrement (+0,7% prévu) mais, via la désinflation, bénéficier d’un regain de consommation. Par ailleurs, l’effet de la baisse des taux de la BCE sur les coûts de financement serait en partie compensé par l’inertie des taux longs. En parallèle, le remboursement de la dette covid se poursuit, tout comme la normalisation du comportement de l’Urssaf vis-à-vis du recouvrement des impayés. 2024 devrait donc être une année de normalisation économique.

Cet environnement économique peu porteur est soumis à plusieurs aléas (2 aléas négatifs et 1 positif) :

  • L’ampleur et les modalités du durcissement de la politique budgétaire en 2024 et 2025 sont encore incertaines après l’annonce récente du creusement du déficit public en 2023 (-5,5% après -4,8% en 2022). Si une hausse des taxes et impôts est pour l’heure écartée, la réduction de dépenses ou d’investissements pourrait entraver les débouchés de certains secteurs ;
  • L’accroissement des tensions géopolitiques ces dernières semaines pourraient perturber les chaines d’approvisionnement et influer sur les prix de l’énergie ;
  • Les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 devraient générer des débouchés précisément dans les secteurs les plus endettés par la crise covid (tourisme, hôtellerie-restauration, services aux ménages).

La trajectoire inquiétante des défaillances de PME-ETI doit alerter !

Compte tenu de ces conditions d’exploitation, les défaillances d’entreprises ont – sans surprise – fortement augmenté au cours de l’année 2023 après une période très atypique.BPCE L’Observatoire dénombre 16 801 défaillances au 1er trimestre 2024 (+15% par rapport au T1 2019), portant à 59 000 le nombre de défaillances en France sur les 12 derniers mois (+12% par rapport à 2019).

Cette évolution s’apparente donc à une normalisation (sans « rattrapage » des défaillances évitées de 2020 à 2022) qui peut paraître rassurante en première lecture, mais qui dissimule plusieurs signaux d’alerte selon Alain Tourdjman, directeur des études économiques de BPCE, et Julien Laugier, économiste du Groupe BPCE :

  1. Globalement, la situation continue de se dégrader début 2024. Avec environ 17 000 défauts enregistrés, le 1er trimestre 2024 est le pire depuis 2015. Cela fait suite à un record atteint au 4e trimestre 2023 qui était le plus haut depuis au moins 2009 (date de début de notre suivi des défaillances). La tendance est donc bel et bien à l’aggravation et non à l’accalmie.
  1. Les défaillances des PME-ETI atteignent un niveau inquiétant. De manière générale, on observe 3 situations différentes selon l’effectif :
    • Plus de 1 400 PME-ETI (10 salariés et plus) sont entrées en défaillances au 1er trimestre 2024 (contre 925 au 1er trimestre 2019). Sur les douze derniers mois, ce sont plus de 5 000 PME-ETI qui ont défailli, entrainant des conséquences économiques importantes (en termes d’emplois menacés, d’encours de crédits, de valeur ajoutée, etc.). Nous estimons qu’environ 70% des défaillances de PME-ETI évitées pendant la covid se sont manifestées. Pour les PME-ETI, le phénomène s’apparente donc à un rattrapage d’ampleur, et non à une simple normalisation.
    • Les TPE employant 3 à 9 salariés, avec un surcroît de défaillances de 26 % par rapport à 2019, connaissent un début de rattrapage des défaillances évitées entre 2020 et 2022.
    • Les microentreprises et les plus petites TPE (sans salarié ou employant 1 ou 2 salariés) connaissent une simple normalisation des défaillances (+7% sur les 12 derniers mois par rapport à 2019).
  1. L’impact en emplois. Les plus grosses entités (grosses TPE et PME-ETI) ont donc plus fréquemment défailli. L’impact économique des défaillances est ainsi supérieur à celui de 2019, en particulier en termes d’emplois avec 240 000 emplois menacés sur les 12 derniers mois (soit +25% par rapport à 2019), dont 62 000 sur le seul 1er trimestre 2024. L’impact économique des défauts ne faiblit donc pas en termes d’emplois menacés, et probablement aussi s’il était mesuré en termes de valeur, de créances, de capital, d’interactions interentreprises.
  1. Par région, certains territoires se révèlent très vulnérables tandis que d’autres sont épargnés. Le territoire Midi-Pyrénées enregistre un rebond important (+34% de défaillances par rapport à 2019). Aussi, sur le segment des PME-ETI uniquement, les défauts en Poitou-Charentes, en Aquitaine, en Martinique et en Rhône-Alpes atteignent des sommets en 2023 (entre + 59% et +99% par rapport à 2019). À l’inverse, les territoires les plus épargnés semblent être moins dynamiques économiquement (Lorraine, Limousin, la Réunion, la Corse). D’autres facteurs peuvent également expliquer les disparités territoriales, comme le degré de normalisation des recouvrements des Urssaf et aussi les spécialisations sectorielles.
  1. Par secteur, à quelques rares exceptions, les secteurs sinistrés ont été exposés aux changements d’environnement survenus depuis un an et demi (inflation, hausse des taux, changement de comportement de consommation des ménages). En particulier, l’évolution de la consommation des ménages a fragilisé les commerces alimentaires et les services aux particuliers (soins de beauté et corporels, coiffeurs, …) et, indirectement, les transports routiers de marchandises. Par ailleurs, la hausse des taux d’intérêt a fragilisé le secteur de l’immobilier (en particulier les agences immobilières et les promoteurs immobiliers) et du bâtiment (surtout les travaux d’installation en électricité, plomberie, isolation, …), ainsi que certains métiers financiers et assurantiels (gestionnaires de fonds, activités de conseil, gestion et de courtage financier). Au 1er trimestre 2024 en particulier, les défaillances accélèrent franchement dans l’hébergement-hôtellerie, le commerce de gros, les services aux entreprises et activités techniques (notamment l’entretien des bâtiments, aménagement paysager, bureaux de conseils et études techniques, …). À l’inverse, les secteurs les plus résilients sont : la santé, les activités récréatives (sports, arts, culture), l’industrie (hors agroalimentaire) et les débits de boissons.

Pas de tsunami mais une « marée haute » : une hausse de 10% des défaillances en 2024 et un maintien à un niveau élevé en 2025

Les derniers chiffres confirment notre prévision d’une hausse d’environ 10% des défaillances en 2024 (environ 62 000 évènements) selon Alain Tourdjman, bien loin d’un scénario « tsunami ». En revanche, une « marée haute » est de plus en plus probable avec un nombre d’entreprises défaillantes élevé au cours des prochains trimestres, voire jusqu’à mi-2025 (a minima 60 000 défaillances). Au-delà des chiffres globaux, la typologie des entreprises défaillantes en 2024 devrait changer compte tenu :

  • De l’évolution des forces motrices de l’activité, notamment le rebond de la consommation. La situation du commerce de détail, de l’agroalimentaire et des services aux particuliers devraient s’améliorer, alors que les défaillances dans la construction, la restauration et les services aux entreprises devraient s’accélérer en 2024. La situation du secteur industriel (hors agroalimentaire) est plus incertaine en 2024.
  • Du degré de rattrapage déjà amorcé parmi les PME. En effet, les défaillances s’accélèreraient sur les plus petites entités qui n’amorceraient leur rattrapage qu’en 2024, alors qu’elles se stabiliseraient côté PME et ETI. Ainsi, le nombre d’emplois menacés par les 62 000 défaillances attendues en 2024 ne devrait pas déraper très au-delà du niveau actuel déjà très élevé (autour de 250 000 emplois menacés en 2024).

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