Un mal invisible

La fatigue informationnelle au travail (FIT) devient un problème majeur pour la santé et la productivité 

Boîte mail qui déborde, notifications en cascade, agenda déjà surchargé de réunions... Alors que vous tentez peut-être de tenir votre bonne résolution de "mieux gérer votre temps en 2025", vous sentez déjà que ça dérape. Vous voilà d’ailleurs en train de lire cette brève entre deux visios, tout en gardant un œil sur votre messagerie, tandis qu'une notification WhatsApp perso vient de faire vibrer votre téléphone...   Ce scénario vous parle ? Sachez que vous n'êtes pas seul ! Mais attention ! Car cette situation peut se muer en une pénibilité lourde de conséquences…   Comme le montre notre récente recherche L’ObSoCo, la Fondation Jean Jaurès et arte, 1 actif sur 4 souffre de fatigue informationnelle au travail (FIT). Et les technologies dites justement « de l’information », très vite entrées dans le quotidien professionnel de nombre d’actifs, y sont évidemment pour beaucoup.


La laisse électronique  

De fait, et si 47% d’entre eux ont l’impression de devoir rester disponible en permanence pour pouvoir répondre aux sollicitations, c’est en effet directement lié à ce que les chercheurs ont baptisé la "laisse électronique". Cette connexion permanente qui brouille de surcroît les frontières : 45% des actifs répondent en effet à des sollicitations professionnelles hors horaires de travail, tandis que 62% gèrent leur vie personnelle pendant les heures de bureau. Un équilibre... déséquilibré ?   Cette nouvelle forme de pénibilité au travail apparaît avec la numérisation croissante des tâches et a donc tendance à être plus importante pour les professions qui utilisent régulièrement une diversité d’outils numériques. La proportion d’actifs impactés par cette nouvelle forme de surcharge cognitive augmente 2 ainsi à mesure que l’on utilise des outils numériques dans son travail. Elle passe de 13 % chez les travailleurs qui n’utilisent pas de boîte mail, pas de messagerie instantanée, pas d’outils de visio-conférence, à 39 % chez ceux qui utilisent tous ces outils. 


Les actifs en télétravail sont eux aussi fortement sou mis à la fatigue informationnelle (38 %). Notons cependant que lorsque le travail à distance devient la norme, c’est-à-dire au-delà de trois jours par semaine, les télétravailleurs ne se distinguent plus du reste de la population active (26 %). 
Les technologies de l’information se sont répandues dans de très nombreuses professions, et notamment dans la quasi-totalité des emplois du tertiaire (qui représentent aujourd’hui 77 % de l’emploi en France). À l’heure actuelle, 66 % des actifs en emplois utilisent au quotidien une boîte mail professionnelle. Les outils de visio conférence sont utilisés par 31 % des actifs, quand les messageries instantanées concernent environ un quart des actifs (25 % pour les messageries de type WhatsApp, Messenger, Telegram et 23 % pour les messageries professionnelles de type Slack, Teams, Google Hangouts...). 


La gestion des e-mails et des notifications représente une part importante de la charge de travail quotidienne dans de nombreux environnements professionnels. Les actifs qui disposent d’une boîte mail professionnelle en reçoivent en moyenne 32 par jour, c’est à-dire 160 mails par semaine. Une proportion qui grimpe à 290 courriels par semaine pour les chefs d’entreprise/professions libérales et 225 pour les cadres. Ils participent aussi eux-mêmes de la profusion d’informations en envoyant en moyenne 22 mails par jour (l’équivalent de 110 courriels par semaine). Une fois encore dans ce domaine, les ouvriers et employés, avec les agriculteurs exploitants, restent relativement épargnés (22 courriels reçus pour 11 envoyés en moyenne par jour). Cette quantité d’information quotidienne à traiter correspond (pour un temps de travail de 35 heures) à environ un septième de son temps chaque jour. Une tâche à part entière, mais qui, aux dires des enquêtés, n’est pas toujours d’une utilité constatable. En effet, d’après les actifs interrogés, un courriel sur deux ne les concernerait pas directement. 


Cette surcharge informationnelle est exacerbée par l’utilisation fréquente des notifications, qui peuvent interrompre les tâches en cours et disperser l’atte tion – a fortiori lorsque ces notifications sont installées sur des appareils personnels (42 % ont installé les notifications concernant leur travail sur leur téléphone personnel et 41 % sur un ordinateur personnel). Résultat, 30 % des actifs déplorent des difficultés de concentration du fait d’interruption par des mails ou des notifications professionnelles. 


Cette fragmentation du travail peut avoir des conséquences négatives pour les travailleurs : interruptions fréquentes, morcellement des tâches, rythme de travail dicté par les technologies de l’information et de la communication (TIC) et difficulté à planifier sa charge de travail, sentiment d’urgence permanent, difficulté de concentration... Et finalement, elle peut conduire à une perte d’efficacité, car le temps de « reconcentration » nécessaire pour se replonger dans une tâche après une interruption est souvent sous-estimé (au total sur une journée, il serait de l’ordre d’1 heure 30). 


À ce constat s’ajoute donc celui de l’émergence crois sante de la surcharge cognitive. Les données montrent que 33 % des travailleurs passent un temps excessif à trier les informations qu’ils reçoivent quotidiennement. Il n’est pas étonnant dès lors de constater que les individus qui sont soumis à une forme de FIT ont ainsi tendance à évaluer leur QVT avec un regard plus critique que leurs collègues qui ne le sont pas. 36 % déclarent être insatisfaits par leur qualité de vie au travail, pour 28 % des actifs qui ne ressentent pas de FIT. La FIT a également des impacts significatifs sur la santé mentale et physique des employés. Les données montrent que les actifs souffrant de FIT sont davantage sujets aux afflictions psychologiques par rapport à l’ensemble de la population active. En effet, 69 % de ceux touchés par la fatigue informationnelle déclarent ressentir du stress, pour 56 % de l’ensemble des actifs et 52 % de la population globale. De même, 55 % souffrent d’anxiété et 43 % de déprime, des taux nettement supérieurs à ceux observés dans la population générale. Cette surcharge cognitive peut aussi conduire à une situation de burnout professionnel : 28 % des personnes touchées par la fatigue informationnelle ont connu un épisode de burnout, pour 19 % de la population active globale. Ce qui, dans les deux cas, est, on en conviendra, considérable. 
 

   

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