Les ratés de l’apprentissage

La croissance de l’alternance masque mal des problèmes d’adéquation des formations aux besoins de entreprises et d’accès des jeunes à l’apprentissage

La formation en alternance constitue une mesure phare de lutte contre le chômage des jeunes, en améliorant l’insertion professionnelle des moins qualifiés d’entre eux. La dernière réforme de l’alternance, résultant de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, en a profondément modifié le pilotage et le financement. La Cour des comptes vient de dresser un premier bilan de ces mesures.

Favorisé par les aides exceptionnelles versées aux employeurs d’alternants depuis l’été 2020, l’essor sans précédent des entrées en apprentissage  (+ 98 % depuis 2019) a surtout concerné les formations après le baccalauréat, destinées à des étudiants pourtant moins concernés par les difficultés d’insertion sur le marché du travail que les jeunes de niveau CAP ou baccalauréat.
Cet essor a entraîné plus qu’un doublement des dépenses associées, qui devraient atteindre 11,3 Md€ en 2021, en grande partie à l’origine de l’impasse financière que connaît actuellement le système d’alternance et de formation professionnelle.
La juridiction conclut que malgré son ampleur et son coût, le développement de n’apporte pas suffisamment de réponses aux jeunes en situation de fragilité, ni aux entreprises rencontrant des difficultés de recrutement et ne permet pas assez de prendre en compte les besoins spécifiques des territoires.

Une croissance déséquilibrée

Entre 2016 et 2021, le nombre d’entrées de jeunes en alternance est passé de 438 000 à près de 800 000, soit une hausse de 82 %, largement imputable aux années 2019 à 2021. Si les entrées des jeunes en contrat de professionnalisation se sont effondrées (- 57 % entre 2019 et 2021), les entrées en apprentissage ont augmenté de 98 % entre 2019 et 2021, soutenues par les aides exceptionnelles versées aux employeurs d’alternants pour faire face à la crise.

Avec la prolongation des aides, les entrées en apprentissage resteront vraisemblablement à un niveau élevé, compte tenu de la nouvelle offre de formation et de l’appétence des jeunes pour l’apprentissage.

Cette hausse des effectifs s’est accompagnée d’une évolution du profil des apprentis : en 2016, la part des apprentis préparant un diplôme d’un niveau inférieur ou équivalent au bac professionnel représentait 63  % du total des apprentis ; en 2020, ils n’étaient plus que 49 %. Parallèlement, les effectifs se concentrent sur le secteur tertiaire, plutôt que sur les secteurs traditionnellement concernés, comme l’artisanat, l’industrie, la construction ou l’agriculture. L’apprentissage est désormais perçu comme une voie d’accès à des niveaux élevés de qualification.

Cependant, cette recomposition ne correspond pas aux objectifs historiquement associés à la politique de l’apprentissage qui, jusqu’à présent visait à améliorer l’insertion professionnelle des jeunes présentant les plus bas niveaux de qualification (CAP, baccalauréat professionnel), ceux qui rencontrent le plus de difficulté à s’insérer sur le marché du travail. À partir du niveau de la licence, la plus-value sur l’insertion professionnelle est faible, l’apprentissage améliorant plutôt la qualité de l’emploi obtenu (type de contrat, rémunération, etc.). Le développement actuel de l’apprentissage dans les niveaux postbac répond ainsi à de nouveaux enjeux, en représentant un levier d’évolution de l’enseignement supérieur, qu’il contribue à démocratiser, professionnaliser et financer, dans un contexte où de plus en plus de jeunes poursuivent des études supérieures.

Les CFA en difficulté

La réforme de 2018 a entraîné un bouleversement du rôle et de l’organisation des acteurs de l’apprentissage par la création de France compétences devenu l’unique instance de gouvernance nationale de la formation professionnelle et de l’apprentissage, ainsi que par la transformation des organismes paritaires collecteurs agréés (Opca) en 11 opérateurs de compétences (Opco). Les centres de formation des apprentis (CFA) sont désormais financés à titre principal par les opérateurs de compétences, chaque contrat d’apprentissage ou, à défaut, par l’État sur recommandation de France compétences.

Cette réforme de très grande ampleur a nécessité des travaux d’adaptation très importants de tous les acteurs qui sont parvenus à la mettre en œuvre, malgré la crise sanitaire, dans des délais très contraints, parfois au prix de retards importants dans la prise en charge financière des contrats. Fin 2020, la situation financière des CFA ne semble pas s’être dégradée. Seuls les CFA en zones rurales positionnés sur des formations peu attractives ou ceux devant supporter des plateaux techniques coûteux sont inquiets quant à leur capacité à pouvoir continuer à financer des formations pourtant nécessaires aux entreprises du secteur industriel ou de l’artisanat traditionnel.

Le premier exercice de détermination, par les branches professionnelles et France compétences, des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage a été réalisé sur des bases fragiles. Il a abouti à une croissance du coût des formations par apprenti (d’au moins 17 %) et à des écarts injustifiés entre formations de même niveau et de même domaine.

Des catégories exclues

Le nombre d’apprentis préparant des diplômes du secondaire, pour lesquels l’apprentissage favorise le mieux l’insertion, a nettement baissé de 2000 à 2017 et a peu augmenté depuis, malgré l’essor récent de l’apprentissage. En effet, le potentiel de croissance des apprentis d’âge scolaire est plus faible que dans l’enseignement supérieur, en raison du profil de ces élèves de plus en plus jeunes à la sortie de la classe de troisième, peu mobiles, probablement hésitants à entrer dans une formation plus exigeante que la voie professionnelle sous statut scolaire.

Il serait ainsi nécessaire d’adapter davantage qu’aujourd’hui les actions de promotion de l’apprentissage aux âges des populations concernées. Malgré les progrès réalisés sur le plan de l’orientation à la fin de la classe de troisième, l’apprentissage reste mal connu et moins considéré par les professeurs de l’éducation nationale. Il est nécessaire d’améliorer l’information sur l’apprentissage, en particulier au profit des jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il conviendrait ainsi de renforcer la formation des enseignants et les relations entre les établissements scolaires et les CFA.

L’accompagnement des jeunes peut être encore amélioré pour limiter le taux de rupture des contrats, qui demeure élevé, en particulier pour les plus bas niveaux de qualification et dans certains secteurs particuliers.

Les besoins des entreprises mal pris en compte

Il existe un risque que la réforme fragilise les formations peu attractives, pourtant nécessaires aux entreprises, et entraîne une évolution de l’offre uniquement fondée sur la demande des jeunes. Ainsi, il est nécessaire de mettre en place une concertation entre les principaux acteurs (pour identifier et soutenir les formations moins rentables mais correspondant à des besoins de main-d’œuvre des entreprises. Dans un contexte de libéralisation de l’offre, le contrôle de la qualité des formations devient d’autant plus sensible.

   

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