Le gouffre numérique

Le rapport de la mission d'information du Sénat sur l'accès aux services publics alerte sur les conséquences de leur dématérialisation.

Le rapport de la mission d'information du Sénat "L'accès aux services publics : renforcer et rénover le lien de confiance entre les administrations et les usagers"  fait état des difficultés rencontrées par les administrés dans l'accomplissement de leurs démarches administratives en ligne. Les rapporteurs formulent plusieurs recommandations pour remédier aux contraintes résultant de la dématérialisation des services publics, qui est devenue une norme. 

82% des démarches administratives sont réalisées en ligne chaque année. Selon le baromètre du numérique de 2025, 73% des Français ont effectué une démarche administrative au cours de l'année 2024 (contre 67% en 2021 et seulement 33% en 2011). Ce taux en hausse continue résulte des réformes successives des services publics, à compter des années 1990, pour tendre vers le "tout-numérique". La dématérialisation s'impose désormais pour un grand nombre de démarches. « La bascule vers le digital - 82 % des démarches se font aujourd’hui en ligne – n’a fait que transposer (la complexité administrative) dans l’univers numérique : les « murailles de papier » auxquels on peut comparer les formulaires administratifs restent tout aussi infranchissables derrière un écran. L’image du « parcours du combattant » vient spontanément à l’esprit », écrivent les rapporteurs.

Ils alertent sur la "déshumanisation des services publics", la "précarité relationnelle" (absence de contact humain) et les "fractures persistantes" dans l'accès au numérique qui en résultent. Si la dématérialisation est adaptée aux usagers autonomes, elle s'avère contraignante pour les administrés défavorisés. 

Arnaques en ligne

La complexité associée aux démarches en ligne et le nombre croissant de démarches administratives dématérialisées incitent certains usagers à recourir à des offres payantes, alors-même que ces démarches sont gratuites ou quasi-gratuites. Or certains de ces sites peuvent induire l’usager en erreur, par exemple parce qu’ils reproduisent de manière trompeuse l’apparence de sites officiels, ou en raison de l’absence de transparence sur les modalités de paiement des prestations par les clients. La mission d’information a pu mesurer la prolifération de ces sites marchands, dits « de conciergerie administrative », et le risque qu’ils représentent pour des usagers non avertis – un constat partagé par la DGCCRF, l’UFC-Que choisir et l’Institut national de la consommation.

Un rapport du Sénart sur l’inclusion numérique, publié voilà cinq ans, alertait déjà sur l'exposition de certaines catégories d'usagers à la fracture numérique, notamment les personnes en situation de handicap, celles dépourvues des équipements nécessaires ou encore les personnes âgées. Les étrangers rencontrent quant à eux des difficultés spécifiques dans l'utilisation des plateformes numériques sur lesquelles elles doivent accomplir leurs démarches.

« Aux effets de la fracture numérique s’ajoutent les perturbations causées par la contraction du maillage territorial de nombreux services publics (fermetures d’écoles, de bureaux de postes, de trésoreries, d’organismes de protection sociale, etc.) L’éloignement géographique des services publics dits de proximité, parallèlement à leur dématérialisation qui constitue une autre forme d’éloignement, est durement ressenti dans les territoires ruraux et constituait un thème récurrent des Cahiers de doléances, ouverts dans les mairies en 2018-2019 dans le contexte de la crise des gilets jaunes », soulignent les sénateurs.

 

Le téléphone, moyen de contact préféré des administrés

Selon le Baromètre des services publics de 2025, le téléphone reste le moyen de contact préféré des usagers, notamment parce qu'il permet un contact humain et s'avère nécessaire pour remédier aux difficultés ou impasses rencontrées en ligne. Ce canal comporte néanmoins d'autres défauts : temps d'attente longs voire impossibilité d'accéder à un interlocuteur, insatisfaction sur les réponses apportées par l'administration...

Les contraintes dans l'accès aux démarches administratives numériques peuvent en réalité concerner l'ensemble des usagers. Selon le dernier baromètre du numérique, près de la moitié des Français (44%) rencontrent des difficultés pour réaliser leurs démarches en ligne : peur de se tromper, incompréhensions... Une minorité d'entre eux (11% seulement) manquent de compétence numérique (on parle également d'"illectronisme"). Contrairement à une idée reçue, les jeunes adultes rencontrent tout particulièrement des obstacles dans la réalisation des démarches en ligne : presque 70% des 18-24 ans déclarent rencontrer au moins une difficulté.

Concilier modernisation des services publics et accompagnement des usagers

Afin de concilier la poursuite de la modernisation des services publics et la prise en côté des usagers éloignés du numérique, le rapport formule plusieurs recommandations, parmi lesquelles :  

  • étendre le droit à l'erreur, qui permet aux administrés de pouvoir modifier leur dossier sans perdre leur(s) droit(s) automatiquement ;
  • proposer des alternatives aux démarches dématérialisées, afin de laisser aux usagers le choix du canal ;
  • mieux référencer les sites administratifs officiels et lutter contre les pratiques commerciales trompeuses (sites payants qui reproduisent l'apparence des sites officiels) ;
  • améliorer l'information des usagers sur l'existence du site service-public.fr, le site officiel pour réaliser certaines démarches administratives ;
  • renforcer le contrôle de l'usage de l'intelligence artificielle ;
  • rendre le réseau  France services plus performant : consolider l'offre de services existante, développer les espaces du réseau dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV), amplifier les formules itinérantes pour aller vers les citoyens...


   

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