La France a perdu près d'un quart de ses fermes en dix ans

Le point complet sur la situation de l’agriculture française. Pour parler de la crise actuelle en connaissance de cause.

La mobilisation des agriculteurs continue dans toute la France. Leurs revendications sont multiples. Ils demandent que les lois EGalim, censées permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail en rééquilibrant les relations commerciales entre les producteurs agricoles et les entreprises agroalimentaires, soient mieux appliquées et renforcées afin que les agriculteurs n'aient pas à vendre leur production à perte. De nombreux syndicats demandent également la fin de l'obligation par l'Union européenne de consacrer 4 % des terres arables à de la jachère ou à des infrastructures agroécologiques. Ils demandent aussi que les produits d'importation soient soumis aux même normes que les produits français, afin d'éviter une concurrence jugée déloyale.

Comme le montre notre infographie , basée sur les données du plus récent recensement agricole du Ministère de l'Agriculture, la France a perdu plus de 100 000 exploitations entre 2010 et 2020. Ce sont les exploitations spécialisées dans l'élevage qui ont été les plus touchées : plus de 63 000 ont disparu en dix ans, soit près de deux tiers de la diminution totale. Les exploitations de petite taille ont particulièrement souffert. Le nombre de micro-exploitations a ainsi baissé de 31 %, tandis que celui des petites et moyennes exploitations a diminué de 21 %.

La surface agricole utile est par ailleurs restée stable, ce qui s'explique par l'agrandissement de la taille moyenne des exploitations agricoles : de 55 hectares en 2010 à 69 hectares en 2020, soit une augmentation d'environ 25 %. Les grandes exploitations (136 hectares en moyenne) sont les seules à avoir vu leur nombre augmenter : elles étaient 2 000 de plus en 2020 que dix ans auparavant.

Une puissance qui s’effondre

La France reste encore une puissance agricole importante, mais sa position internationale s’effrite depuis 20 ans. En 2022, elle se maintient au sixième rang des exportateurs mondiaux de produits agroalimentaires. À la fin des années 1990, la France était encore deuxième exportateur mondial. De 1990 à 2022, sa part de marché aux exportations a reculé (de 11% à 4,5%). Les Pays-Bas, l’Allemagne, le Brésil, la Chine et les États-Unis se positionnent devant la France.

L’évolution de l’excédent commercial agroalimentaire ne traduit pas cette érosion. Sur 20 ans, il est même assez stable : en 2022, il atteint 10,3 milliards d’euros (9 milliards en 2002 avec un pic de 11 milliards en 2011). Mais, cette performance s’explique essentiellement par la récente hausse des prix sur les marchés internationaux plus rapide que les baisses des volumes exportés, ce qui cache la perte de compétitivité et la baisse des volumes de la filière française. En même temps, la France importe aujourd’hui plus de deux fois plus de denrées alimentaires qu’en 2000.

Le secteur le plus dynamique demeure la filière vins et spiritueux. La France est premier exportateur mondial et y enregistre un excédent commercial de près de 15 milliards d’euros en 2022. En revanche, dans les autres produits transformés et dans les produits bruts, à l’exception des céréales, les performances s’inscrivent en baisse depuis le début des années 2000.

Selon le Haut-Commissariat au plan, les importations agricoles et agroalimentaires de la France représentent environ 20% de l’alimentation nationale et proviennent essentiellement des pays de l’Union européenne. Elles ont doublé entre 2000 et 2019. Les taux d'importation varient selon les denrées : 

* près de 50% des fruits et légumes (contre environ un tiers il y a 20 ans) ;

* 34% de la consommation intérieure de volailles en 2017 (contre 13% en 2000) ;

* 25% de sa consommation de porc, notamment des jambons bio depuis l’Espagne, pour répondre aux habitudes alimentaires des Français.

Dans le secteur des produits laitiers, la valeur des importations a été multipliée par deux entre 2005 et 2017, compte tenu de l’augmentation des importations de fromages et de beurre.

Cela peut avoir des conséquences sur la sécurité sanitaire : comme le souligne un rapport du Sénat de 2019, entre 8 et 12% des denrées alimentaires importées de pays tiers ne respectent pas les normes européennes de production (essentiellement à cause de l’emploi de pesticides).

Plusieurs raisons peuvent expliquer cette perte de compétitivité de la France :

* un "dumping" social très important organisé par leurs principaux concurrents européens dans le but de rogner leurs parts de marché ;

* une tendance à la surrèglementation qui se manifeste en France par des surtranspositions que ne réalisent pas d’autres pays européens ;

* des fragilités structurelles dans certaines filières ;

* certains choix de spécialisation, portés vers l’alimentation haut de gamme

Un revenu en baisse

En 30 ans, le revenu net de la branche agricole a baissé de près de 40% en France en euros constants. En même temps, le nombre d’exploitations agricoles a diminué de 60%, de sorte que le résultat net par actif agricole non salarié a augmenté.

En 2021, en moyenne, les non-salariés imposés au régime réel gagnent 1 910 euros par mois avec leur activité (+11% par rapport à 2020). Pour 15% d'entre eux, le revenu est nul ou déficitaire, le plus souvent dans la production d’ovins, caprins, équidés et autres animaux ainsi que dans l’arboriculture.

Pour les ménages agricoles, le niveau de vie médian (22 200 euros en 2018) est comparable à celui de l’ensemble des ménages ayant des revenus d’activité. Cependant, les disparités sont plus fortes au sein des ménages agricoles qui sont davantage touchés par la pauvreté monétaire (18% contre 13%).

La hausse globale des prix agricoles depuis 2020 a modifié la donne et a augmenté la rentabilité  : le résultat courant avant impôts par équivalent temps plein (net des charges et amortissements), a progressé entre 2021 et 2022 de 28,2% à 56 014 euros, et atteint des niveaux historiquement haut.

L’activité agricole ne fait pourtant pas vivre les ménages agricoles : seul un tiers de leurs ressources en provient. L’essentiel des ressources est issu d’autres activités, notamment du revenu du conjoint. 20% proviennent du patrimoine (notamment du fermage).

Géographiquement, les revenus sont plus élevés au nord de la France et plus faibles au sud et au centre. Ceci s’explique par les activités agricoles : les revenus sont plus faibles dans l’élevage, notamment de bovins pour la viande. Les revenus sont plus élevés dans les territoires des grandes cultures, viticoles et d’élevage porcin.

Et l’Europe dans tout ça ?

Dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), deux types d’aides sont versées aux agriculteurs des pays de l’Union européenne (UE).

Les aides directes (ou aides au revenu), visant à compenser la baisse des prix garantis et le gel partiel des terres pour éviter la surproduction, représentent aujourd'hui la plus grande partie des subventions. 

Les aides découplées (liées à la surface de l’exploitation et non pas à la production) sont versées directement aux agriculteurs :

* aide de base au revenu versée en fonction de droits à paiement de base activés sur des surfaces agricoles ; 

* aide complémentaire aux jeunes agriculteurs payée en complément du paiement de base, sur les premiers hectares, pour les exploitations contrôlées par un jeune agriculteur ;

* aide complémentaire redistributive (soutien aux petites et moyennes exploitations) ;

* éco-régime versé aux agriculteurs qui adoptent des pratiques favorables à l’environnement (diversification, agriculture biologique, certification environnementale, infrastructures agroécologiques…).

Les aides couplées sont liées à la production de certains produits : bovins de plus de 16 mois, ovins, veaux sous la mère, blé dur, fruits transformés (prunes d’Ente, poires Williams, pêches Pavies, cerises Bigarreaux, tomates d’industrie), par exemple.

Les aides indirectes portent sur le développement rural. Elles regroupent quatre principaux dispositifs :

* l’indemnité compensatoire de handicap nature ;

* les mesures agroenvironnementales et climatiques ;

* la dotation pour les jeunes agriculteurs ;

* le plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles.

Une feuille de route et un pacte vert

La feuille de route "De la ferme à la table" ("Farm to Fork") est un dispositif clé du pacte vert pour l'Europe, dont l'objectif est la neutralité climatique dès 2050. Dans ce cadre, la stratégie "De la ferme à la table" vise à rendre les systèmes alimentaires équitables, sains et respectueux de l'environnement.

La stratégie "De la ferme à la table" a pour objectifs :

* un impact environnemental neutre ou positif ;

* un impact sur le changement climatique (atténuation et adaptation à ses impacts) ;

* une inversion de la perte de biodiversité ;

* la sécurité alimentaire grâce à des aliments sains, nutritifs et durables ;

* le caractère abordable des denrées alimentaires et des rendements économiques plus équitables ;

* la compétitivité du secteur de l'approvisionnement européen et la promotion du commerce équitable ;

* une proposition de cadre législatif européen pour des systèmes alimentaires durables.

La stratégie comporte des initiatives réglementaires et non réglementaires, avec pour outils essentiels la politique agricole commune (PAC) et la politique commune de la pêche (PCP).

Une proposition de cadre législatif pour des systèmes alimentaires durables sera bientôt présentée.

La Commission européenne, dans le cadre de cette stratégie, doit élaborer un plan pour assurer l'approvisionnement alimentaire mondial et la sécurité alimentaire.

Selon le Parlement européen, la stratégie "De la ferme à la table" requiert :

* des objectifs contraignants de réduction de l'utilisation des pesticides ;

* le réexamen des normes en matière de bien-être animal ;

* davantage de terres pour l'agriculture biologique ;

* une garantie pour les agriculteurs de recevoir une part équitable des bénéfices provenant d'une production durable des aliments.

Infographie : (https://fr.statista.com/infographie/31656/evolution-nombre-exploitations-agricoles/)

   

 

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