Aller moins vite…

De la consommation à la surconsommation, comment lutter contre les dérives de l'ultra fast fashion ?

Soldes, ventes privées, concurrence de l’ultra fast fashion, tarifs douaniers américains, proposition de loi pour encadrer la mode éphémère ... Face à ces nouveaux enjeux qui impactent fortement la viabilité du commerce de proximité, la CCI Paris Ile-de-France formule dans son dernier rapport plusieurs préconisations pour accompagner le dynamisme de l’offre des magasins physiques tout en orientant l’avenir de nouveaux modes de consommation vers davantage de durabilité.

On assiste actuellement à une transformation radicale du secteur textile et de l’habillement. Les Français n'ont jamais autant acheté de vêtements et, paradoxalement, aussi peu dépensé. Ainsi, les derniers chiffres de Refashion indiquent qu’en 2024, ils ont acheté en moyenne 42 vêtements par personne, pour un prix moyen de 15,60 €.

L’ultra fast fashion a fortement accentué ce phénomène, en proposant une mode toujours plus rapide et bon marché, parallèlement à la création d’une culture de la nouveauté stimulée à l’infini.

Les répercussions sur le commerce traditionnel sont majeures. Le secteur textile traverse une crise dont on ne devine pas encore la fin avec de nombreuses liquidations judiciaires et redressements (Camaieu, Kookaï, Naf Naf, San Marina). En 2023, 1130 distributeurs de mode ont été placés sous procédure collective, soit une hausse de 51,3% par rapport à 2022. Même le luxe abordable (Bash, The Kooples, Zadig et Voltaire) et les marques premium (groupe SMCP) sont touchés et dernièrement Princesse Tam Tam et Comptoir des Cotonniers.

Alors, comment lutter contre les dérives de l’ultra fast fashion ? Il faut prioritairement axer sur la qualité !

Pour les consommateurs, il est impératif de mettre en place une prévention systématique afin de développer les connaissances, dès le plus jeune âge, sur la toxicité des produits : campagnes de communication avec des messages forts, conférences, infographies dans les cours d’éducation civique…

Pour les entreprises, si elles sont de plus en plus nombreuses à se diriger vers des pratiques vertueuses notamment dans la grande distribution via des labels, la CCI Paris Ile-de-France prône des mesures en trois étapes :

  • Mettre en place un centre de compétence et d’innovation économique pour accompagner les entreprises, les filières et les territoires informant sur les innovations produits et procédés, l’amélioration de la santé au travail, la valorisation économique des engagements RSE, les retours d’expérience des fédérations professionnelles, etc.
  • Créer un CICE Prévention Santé sur le modèle du crédit d’impôt compétitivité-emploi (CICE). Cette mesure incitative viserait à soutenir les entreprises qui : produisent ou transforment dans une logique de santé publique ; investissent dans la prévention pour leurs collaborateurs ; participent à des programmes structurés de santé environnementale.
  • Lancer des « zones test » territoriales. Concrètement, des zones pilotes de prévention santé seraient lancées, en lien avec l’Éducation nationale (programme dès l’école primaire), les collectivités territoriales, les entreprises locales, les agences de santé, la médecine du travail et le réseau des CCI.

La proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile : avancée ou risque de stagnation ?

Le Parlement examine actuellement une proposition de loi « visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile » qui a pour objectif de réduire la croissance de la mode dite éphémère. Ce texte se fonde sur le principe de la responsabilité élargie du producteur (REP) de produits générateurs de déchets.

La proposition de loi instaure plusieurs dispositifs : une interdiction de publicité (y compris sur les réseaux sociaux via les influenceurs), un malus écologique, une obligation d'information des consommateurs sur l'impact environnemental, la mention obligatoire de l'origine de fabrication pour les ventes en ligne, et une taxe de 2 à 4 € sur les petits colis extra-européens.

Pour désigner les producteurs soumis à la future réglementation, deux critères sont fixés : le nombre de nouvelles références proposées à la vente qui sera fixé par décret et la faible incitation à réparer ces produits. De tels critères interrogent car ils ciblent principalement les entreprises chinoises de l’ultra fast fashion comme Shein, tout en épargnant d'autres acteurs aux pratiques environnementales discutables.

Autre source d’inquiétude, celle du risque inflationniste que constitue le malus écologique qui serait institué. Le montant des pénalités applicables aux produits soumis au principe de REP est au minimum de 5 € par produit en 2025 (10 € en 2030). Certaines enseignes pourraient décider d’augmenter leurs prix si la pression concurrentielle de l’ultra fast fashion est moins forte.

La proposition de loi contient par ailleurs des mesures à encourager telles que la taxe sur les colis extra-européens et l'interdiction de toute publicité, y compris celles menées sur les réseaux sociaux via les influenceurs.
Il est urgent de fixer des limites plus ambitieuses que celles existantes à la mode éphémère. En France comme en Europe, le secteur textile a rapidement besoin d’un rééquilibrage sanitaire compte tenu de la dépendance à l’importation de produits textiles en provenance de Chine. Des mesures doivent être prises sans tarder.

Cela passe par la création d’une obligation pour les fabricants de procéder à des tests préalables de sécurité sur les produits textiles. Cette mesure s’inspire de ce qui se fait aujourd’hui pour les jouets : analyse des dangers que le textile peut présenter en matière chimique, d’inflammabilité, d’hygiène… Par ailleurs, une autre mesure contraignante pourrait être mise en place, celle de la conformité sanitaire avant import avec la fourniture obligatoire de certificats conformes aux normes UE.

Cela passe aussi par le renforcement du blocage et de la destruction des colis de produits contrefaits ou non conformes aux règles de sécurité, via une coopération douanière renforcée avec les pays de l’UE.

Enfin, il faut élargir l’information des consommateurs, en particulier sur les produits retirés à la vente. Il ne faut pas se limiter à un mécanisme de publicité sur le seul site officiel « Rappel Conso » mais communiquer sur les réseaux sociaux via les influenceurs, la radio et la télévision.

Casser la dépendance aux réductions : l'avenir du magasin

Le secteur de l'habillement traverse une crise profonde liée à sa dépendance excessive aux réductions. Depuis vingt ans, les enseignes se sont engagées dans une course promotionnelle effrénée, multipliant les soldes, Black Friday, ventes privées et ventes flash. Cette stratégie, initialement pensée pour stimuler les ventes, a créé un cycle de promotions sans fin.

Résultats ? Une défiance des consommateurs quant à la notion de juste prix (il devient inconcevable d’acheter sans décote) et un cercle vicieux maintien d’une marge/promotion qui s’est mis en place, les vendeurs devant augmenter leurs prix pour proposer des promotions supportables par eux financièrement.

A cela s’ajoute une perception des prix déformée chez les consommateurs qui a été accentuée par l’ultra fast fashion. Tous les articles de mode paraissent chers dès lors qu'ils sont comparés aux prix cassés de ces acteurs. Un défi majeur pour les marques « traditionnelles ».

Créer des conditions équitables d’exercice du commerce : fiscalité, sobriété et responsabilité.

Il faut sans tarder rétablir une égalité de traitement entre le commerce physique et le commerce en ligne via une fiscalité adaptée. Les 90 taxes de nature diverses qui pèsent sur le commerce doivent être clarifiées et allégées. Le commerce physique supporte de lourdes charges pour favoriser l’animation des centres-villes. Or, la fiscalité et les obligations réglementaires qui lui sont imposées aboutissent à un certain appauvrissement de l’offre commerciale.

Dans le même ordre d’idées, un rééquilibrage des rapports de force à la faveur du commerce physique ne peut se passer de mesures concernant le bail commercial : loyers connectés aux flux de clientèle, obligation d’information préalable sur les clauses liées à l’imposition de certaines charges (taxe foncière, travaux…).

Lutter contre les nouvelles tendances de consommation implique des mesures fortes, propres à changer en profondeur les mentalités. Pour les entreprises, il s’agit d’insuffler davantage de sobriété dans les modèles d’affaires.

Une consommation plus sobre et responsable serait favorisée par :

  • la relocalisation des productions textiles en Europe et en France. Cela garantirait le respect des normes environnementales, sociales, de santé publique et fiscales en lien avec les objectifs de l’UE.
  • le soutien de prix réalistes par les politiques publiques en accordant des crédits d’impôts. Le parcours vers une production plus responsable (traçabilité, recyclage…) impose des coûts supplémentaires, ce qui accentue les difficultés des marques respectueuses face à des acteurs moins regardants.
  • l’accès facilité aux financements verts avec la création de programmes spécifiques pour les entreprises textiles qui s'engagent dans des projets de relocalisation et de durabilité environnementale, à des taux d'intérêt préférentiels.

Une politique d’investissement à long terme pour le commerce de détail

Depuis plusieurs années, les enseignes transforment leurs boutiques en lieux expérientiels avec des expériences gratifiantes. Le produit seul ne suffit plus. Il faut entretenir sans relâche la relation-client (conseils personnalisés, réseaux sociaux…), événementialiser les nouveaux modèles, etc. Les concepts stores se développent sur ces principes : ils répondent aux attentes de clientèles qui aspirent à plus de surprises et appréhendent le commerce comme un lieu de bien être avant d’être un lieu de dépenses.

Cependant, le commerce de détail souffre d'un manque flagrant d'investissement comparé aux autres secteurs. Cela représente seulement 2,3 % du chiffre d'affaires consacré aux investissements contre 5,8 % pour la moyenne des autres secteurs (chiffres Insee). Il est recommandé de doubler ce chiffre et de concentrer les investissements sur l'intensification des aides dans l'omnicanalité ou vers des actions favorisant la transition énergétique.

Par ailleurs, considérant que le commerce de détail constitue un véritable tremplin professionnel, ses métiers étant nombreux à être ouverts aux candidats sans qualification, la professionnalisation des équipes de vente est un enjeu majeur. Plusieurs mesures à encourager ici :

  • Inciter les employeurs à financer une formation diplômante à leurs salariés dans les métiers de la vente et des nouvelles technologies.
  • Mener des campagnes de communication à grande échelle sur l’opportunité d’utiliser son CPF tant auprès des recruteurs que des recrutés.
  • Revaloriser les salaires pour créer de la motivation et redonner de l’appétence pour les métiers du retail.

Les promotions, un outil inégalement profitable

Depuis plus de 20 ans, les professionnels peinent à s’accorder sur ce qui constitue une date adéquate ou une durée idéale des soldes. Le même problème s’observe sur les activités promotionnelles : ventes privées ou promotions cadencées dans l’année.

Plusieurs raisons à cela. En premier lieu, la différence entre les structures, leur taille et la marge de négociation qui en découle (grands magasins, réseaux d’enseignes, commerces indépendants) et le décalage entre les périodes de livraison des collections. En second lieu, la volatilité de la clientèle qui recherche des prix bas et qui achète aussi bien en ligne qu’en magasin.

Les commerces indépendants sont nombreux à réclamer un encadrement plus rigoureux des pratiques promotionnelles. La France reste cependant soumise à l’obligation de ne pas édicter de règles plus strictes que celles définies par l’Union européenne.

Du côté des marques :

  • Trouver le bon équilibre dans les contrats de distribution entre la marque et les détaillants est possible en fournissant des collections exclusives aux commerçants multimarques pour éviter le télescopage des pratiques promotionnelles. Par exemple, en ouvrant la négociation sur des gammes de produits non commercialisées sur le e-shop du fournisseur.
  • Rééquilibrer les pratiques promotionnelles en s’inspirant des pratiques des grands magasins, avec la mise en place de collaborations exclusives permettant de détourner la pratique permanente de comparaison des prix et de mener une politique différenciée selon les produits et types de marques.

Du côté des pouvoirs publics :

  • Contrôler davantage la réalité des pratiques promotionnelles qui précèdent les soldes et qui enfreignent la législation sur le prix de référence.
  • Mener une réflexion globale sur le décalage de la date des soldes au regard du changement climatique.
  • Interdire la gratuité des frais de livraison sur les sites des ventes en ligne afin de ne pas pénaliser le commerce physique.

La création d’un rendez-vous annuel avec les professionnels du secteur permettrait de maintenir le dialogue entre les différents acteurs et de continuer à être force de proposition auprès des pouvoirs publics.


   

 

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