211 milliards, et après ?

Le Sénat vient de proposer plusieurs recommandations pour donner plus de lisibilité et d’efficacité aux aides publiques aux entreprises.

C’est un sujet qui crispe : celui des aides publiques aux entreprises. Un sujet dont on ne connait pas vraiment les détours, le profil, la réalité.

La commission d’enquête sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants du Sénat a cherché à y répondre.  Entre février et juin 2025, elle a mené 58 auditions plénières, toutes publiques et diffusées en direct, soit environ 87 heures de travaux. Elle a entendu 33 dirigeants de grandes entreprises qui constituent les fleurons de l’économie française et internationale. Ont également été auditionnés deux ministres en fonction, deux anciens ministres, deux présidents de conseil régional, mais aussi des personnalités qualifiées, des journalistes, des économistes, des représentants des corps de contrôle, des directions générales des ministères, les partenaires sociaux et la Commission européenne. Seul François Hollande a refusé de répondre aux sénateurs, ce qui a profondément fâché les élus.

La commission d’enquête présidée par Olivier Rietmann (Les Républicains – Haute-Saône), avec comme rapporteur Fabien Gay (Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky – Seine-Saint-Denis), a poursuivi trois objectifs principaux :

- établir le coût des aides publiques octroyées aux grandes entreprises, entendues comme celles employant plus de 1 000 salariés et réalisant un chiffre d’affaires net mondial d’au moins 450 millions d’euros par an, ainsi que le coût des aides versées à leurs sous-traitants ;

- déterminer si ces aides sont correctement suivies, contrôlées et évaluées, afin de garantir la bonne utilisation des deniers publics ;

- réfléchir aux contreparties qui pourraient être imposées en termes de protection de l’emploi, lorsque des aides publiques sont versées à de grandes entreprises qui procèdent simultanément à des fermetures de site, prononcent des licenciements voire délocalisent leurs activités.

Fabien Gay, qui souligne le rapport final a été adopté à l’unanimité, et que les travaux ont été d’une grande tenue et d’une volonté commune d’avancer. C’est à souligner, alors que l’Assemblée nationale, de son côté, ressemble plus à une cour d’école. Le rapporteur rappelle les conditions qui ont présidé à la création de cette commission : « En 2024, 664 PSE ont été ordonnés concernant 300 000 emplois, avec les situations très clivantes des arrêts de sites Michelin à Vannes et Cholet et la fermeture de 10 magasins Auchan. Le Premier ministre de l’époque, Michel Barnier, s’était engagé devant le Parlement a demandé des comptes à ces entreprises. Huit mois après, cela n’a pas été fait. Or, nous pensons que chaque euro dépensé doit être utile à la société. Face à cette incompréhension, cette colère, il était légitime de poser cette question de l’usage de l’argent public par les grandes entreprises. Il n’existe aujourd’hui aucune définition précise des aides, sans suivi, alors qu’il en existe plus de 2 200. L’administration a été incapable de nous dire combien elle donne et à qui »

La commission d’enquête a dû réaliser elle-même une estimation du montant des aides publiques aux entreprises pour l’année 2023, étant entendu que cette estimation n’indique qu’un ordre de grandeur compte tenu de l’indisponibilité de certaines informations. Au sens large, les aides publiques aux entreprises atteignent au moins 211 milliards d’euros en 2023. Ont été retenues les subventions de l’État, les aides versées par Bpifrance, les dépenses fiscales et les dépenses fiscales « déclassées » ainsi que les allègements de cotisations sociales. N’ont pas été retenues en revanche les compensations pour charge de service public et les sommes assimilées. Devraient être ajoutées à ce chiffrage, réalisé par la commission d’enquête à partir de données officielles, les aides versées aux entreprises par les régions (2 milliards d’euros par an en moyenne selon Régions de France), les aides versées par le bloc communal dont le montant n’est pas aisé à établir selon la Cour des comptes, ainsi que les aides versées par l’Union européenne en gestion indirecte (y compris la PAC), dont le montant annuel est compris entre 9 et 10 milliards d’euros selon l’Inspection générale des finances, et les aides européennes en gestion directe, difficiles à estimer selon le Secrétariat général des affaires européennes.

« Ces 211 milliards peuvent paraître énorme, pour nos 5 millions d’entreprises », souligne Olivier Rietmann. « Mais si on regarde ailleurs, en Europe, aux USA, en Chine, on ne peut pas dire que la France soit un pays qui soutienne plus que les autres ses entreprises. Nous n’avons pas noté que des entreprises en profitent largement, alors que le contrôle est assez poussé. Le vrai sujet est celui de l’évaluation, que chaque euro trouve son efficience et permet de créer de la richesse ».

La commission d’enquête a formulé 26 propositions, réparties en 4 grands thèmes :

Un choc de transparence, avec un suivi détaillé et actualisé annuel des aides publiques aux entreprises en fonction de leur taille.

Un choc de rationalisation, en changeant la doctrine des aides publiques, pour favoriser les aides remboursables, avec de la lisibilité, qui est demandée par les chefs d’entreprise. L’idée, c’est « une aide, un objectif, une condition ». La durée maximale de remboursement des PGE pourrait être portée à 10 ans.

Un choc de responsabilisation. Les entreprises condamnées définitivement pour une infraction grave ne pourraient recevoir d’aide. En cas de délocalisation, le remboursement sera imposé.

Un choc d’évaluation. Fixer les conditions lesquelles une aide publique sera évaluée dès le moment de sa création.

   

 

 

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